Rétro 2023 : En décembre, clap de fin aux Nouragues de la session 20-23 des inventaires forestiers.

16 février 2024 par Administrateur
Un travail colossal a été accompli depuis 2020 sur les deux stations forestières des Nouragues et de Paracou avec l’intégration des strates de sous-bois, pour une compréhension plus fine du fonctionnement forestier et un calcul plus juste de la biomasse. Des milliers d’arbres de diamètre inférieur à 10 cm ont intégré les inventaires sur chacun des sites, les plaçant à un niveau de qualité encore jamais atteint en Guyane.

Les campagnes de recensement et mesure des arbres qui se déroulent tous les cinq ans sur les parcelles forestières des stations de recherche des Nouragues et de Paracou en Guyane française se sont terminées en décembre. Cette session démarrée en 2020 a intégré pour la première fois les strates de sous-bois dans un objectif de compréhension plus fine du rôle des jeunes arbres, dont le diamètre va de 1 à 10 cm, dans le fonctionnement forestier. Elle apporte des données de haute qualité dont l’accès n’était jusque-là permis par aucun dispositif en Guyane. C’est un nouveau pas franchi qui renforce la visibilité du territoire à l’échelle internationale sur des questions scientifiques très importantes. Il ouvre les possibilités d’une estimation globale fiable de la biomasse des forêts tropicales. Il s'agit là d'un défi important à l’heure où les forêts, par leur capacité à stocker du carbone, sont de solides options pour réduire l’impact des émissions de gaz à effet de serre.

Jeu de piste...Durant les inventaires forestiers, chaque arbre est géolocalisé, mesuré puis identifié à l'espèce. Ces étapes peuvent être réalisées sur des périodes différentes, comme ici aux Nouragues où l'opératrice s'apprête à échantillonner, en vue de leur identification botanique, une sélection d'arbres préalablement positionnés et référencés dans le fichier numérique de l'inventaire (photo : Ornella Laurenti).

Un travail fastidieux mais prioritaire

La pratique des inventaires forestiers est un travail pour le moins fastidieux. Elle s’attache à recenser et mesurer régulièrement des arbres en arpentant à pied des superficies de plusieurs hectares. A chaque visite, de nouveaux arbres sont cartographiés, échantillonnés, identifiés : positionnement GPS, mesures de croissance et détermination botanique à l'espèce. Ils intègrent les inventaires, qui doivent être suffisamment denses et s’étendre sur des surfaces représentatives pour permettre l’étude de la dynamique de croissance des forêts, leur biodiversité, leur biomasse et leur potentiel de régénération. Ce travail est devenu ces dernières années prioritaire hors du seul champ scientifique, du fait des enjeux  d’évaluation de l'apport des forêts à la réduction des gaz à effet de serre dans le contexte du changement climatique.

Dans leur ensemble, les forêts tropicales concourent pour environ deux tiers au stockage du carbone forestier « aérien » mondial (troncs, branches et feuilles ; le système racinaire n’est pas comptabilisé dans ce chiffre). Les enjeux de fiabilité des estimations de cette biomasse sont importants à la fois pour défendre la préservation des forêts et pour les valoriser sur les marchés du carbone.

Obtenir ces estimations à large échelle, celle de la planète, est aujourd’hui potentiellement accessible par la télédétection satellitaire. Mais si la technologie d’estimations indirectes de la biomasse de végétation forestière est au point, elle continue de reposer sur des données de terrain nécessaires à l’étalonnage des instruments de télédétection. Il n’existe pas à ce jour de possibilité de mesures automatisées au sol. La seule possibilité d’obtenir des données de qualité sont ces inventaires forestiers systématisés sur des parcelles de référence.

Les stations des Nouragues et de Paracou, sites de référence de haute qualité avec l'intégration depuis 2020 des arbres de sous-bois

Soutenus par les établissements de recherche et structurés par des réseaux scientifiques français et européens de façon pérenne, deux sites guyanais présentent une régularité des inventaires permettant une très haute qualité de données. Il s’agit de la station de recherche de Paracou, située sur la bande littorale entre Kourou et Sinnamary, et de la station de recherche des Nouragues située dans la réserve naturelle éponyme au cœur de la forêt amazonienne de Guyane.

Ces deux dispositifs scientifiques sont réunis depuis les années 80 dans le réseau régional Guyafor coordonné par le CIRAD, le CNRS et l’Office national des Forêts (ONF). Ils représentent des profils de forêt tropicale légèrement différents et offrent à la Guyane une position visible dans les réseaux internationaux de sites forestiers de référence. Paracou est une station gérée par le CIRAD. Les premiers inventaires y remontent à 1984. La station de recherche des Nouragues est gérée par le CNRS. Les premiers inventaires datent de 1992.

Depuis 2020, ces stations font l’objet de nouvelles campagnes d’inventaires menées dans le cadre de trois projets scientifiques visant à intégrer l’échelle du sous-bois, autrement dit des milliers de nouveaux arbres dont le diamètre est compris entre 1 et 10 cm.

Le projet Understory, en 2020, a été financé par le LabEx CEBA. Il a conduit à l’installation de quatre parcelles de 1 ha à Paracou et aux Nouragues. Le projet ALT en 2021 et 2022, financé par l’Agence nationale de la Recherche, a installé deux nouvelles parcelles sur chacun des sites. Enfin, en 2022 et 2023, les dernières parcelles ont été installées et inventoriées dans le cadre d’un projet de coordination de sites forestiers de référence à l’échelle internationale, le projet GEO-TREES. Le volet Guyane de ce projet est mené grâce à un financement octroyé par le CNES et la Collectivité territoriale.

71 337 : c'est le nombre d'arbres de cette session d'inventaire.

Les missions de terrain réalisées lors de cette session d’inventaire 2020-2023 ont permis d’atteindre un référencement total de 71 337 arbres : 28 759 arbres aux Nouragues, sur 6 hectares, et 42 578 arbres à Paracou sur 9 hectares.

Aux Nouragues, 3 130 arbres de canopée, les « grands arbres » de plus de 10 cm de diamètre « dbh *» (*diamètre à hauteur de poitrine : le standard forestier de mesure des arbres) sont référencés sur ces parcelles auxquels s’ajoutent 25 629 arbres de sous-bois, de plus petit diamètre, compris entre 1 et 10 cm dbh ; des « tiges » . Sur cette seule station (40% environ de l’échantillon total), les inventaires ont représenté 10 missions de deux semaines chacune, engageant à chaque fois une équipe d'une dizaine de personnes.

Pour Paracou, ces chiffres sont respectivement de 5 036 "grands arbres" et 37 542 tiges. La fréquence moyenne d’intégration est d’environ 500 arbres par hectare pour les gros arbres et 4 200 arbres par hectare pour les tiges.

Au total sur les deux stations, ces inventaires ont compté depuis 2020 la participation de 55 personnes d'horizons divers, représentant 9 institutions scientifiques et plusieurs pays : France et départements d’Outre-mer, Grande-Bretagne, Hongrie, Madagascar, USA.

Fin 2024, 90%  des arbres de ces inventaires seront dûment référencés.

Ces inventaires sont en cours de traitement. Une partie des identifications botaniques sont faites sur le terrain par les équipes de forestiers et de scientifiques, le reste en herbier à partir des échantillons collectés. A ce jour, 59 % des arbres sont identifiés aux Nouragues et 72 % à Paracou.

584 espèces sont pour l’instant identifiées, dont une espèce qui était pour l’instant inconnue. Ces identifications concernent tous les arbres y compris les palmiers, à l’exception des lianes qui ne sont pas considérées dans ces inventaires. A la fin de l’année 2024, ce sont 90% des arbres qui auront été identifiés, mesurés, cartographiés.

La combinaison des inventaires au sol et de mesures par lidar aérien et terrestre offre un jeu de données de haute qualité exploitable dans les modèles numériques de caractérisation forestière.

Le travail colossal accompli par ces inventaires au sol va être combiné à deux autres procédés de mesure qui utilisent la technologie lidar. Des survols aériens, d’une part, apportent à l’échelle de quelques milliers d’hectares des données sur la structure et la dynamique du couvert forestier. D’autre part, des mesures par lidar terrestre viennent fournir à échelle locale des images très précises de certains gros arbres et facilitent la précision du positionnement.

A Paracou les inventaires sont couplés à des acquisitions de données aériennes par survol lidar depuis 2003. Ils ont permis d’atteindre, en 2019, une surface de couverture de 1200 ha sur ce site. Aux Nouragues, les survols lidar ont débutés en 2007 et couvraient, en 2019, une surface de 2000 ha. Ces survols lidar ont été étendus en 2022 et couvrent à présent une superficie – sur les deux sites combinés – de 6400 ha.

Coordination internationale

Les inventaires forestiers font l'objet d'une coordination à l'échelle internationale, avec une très forte contribution de pays de Sud. L'initiative Geo-Trees, précédemment citée, relie pour sa part une centaine de sites de référence à travers la ceinture tropicale planétaire en s'appuyant principalement sur trois réseaux pré-existants : ForestGEO coordonné par les USA, ForestPlots coordonné par la Grande Bretagne et TmFO coordonné par la France. Elle doit apporter d’ici 2025 à la communauté scientifique et aux porteurs d’enjeux la haute qualité requise pour produire des cartes de hauteur de canopée, des modèles numériques de terrain de haute résolution pour le suivi de la dynamique forestière et des cartes de biomasse. Ces produits permettront de paramétrer les technologies satellitaires pour l’estimation fiable, à l’échelle planétaire globale, de la biomasse forestière : stock actuel et évolution.

Les données acquises par les divers programmes seront mises à la disposition de tous dans le cadre des principes de Science ouverte et pourront servir à de nombreux utilisateurs.

Depuis 2020, les inventaires forestiers intègrent les arbres de sous-bois, dont le diamètre est compris entre 1 et 10 cm, sur certaines parcelles. L’objectif est de mieux comprendre le fonctionnement forestier et de permettre une estimation fiable de la biomasse totale des forêts tropicales. Sur les stations de Paracou (photo) et des Nouragues, ce sont plus de 63 000 petits arbres, des « tiges », qui ont été mesurés et positionnés, sur une surface, respective par station, de 9 et 6 hectares. Ce travail équivaut à 88% de l'effort d'inventaire total de cette session, octuplant quasiment le travail plus traditionnel consenti sur les gros arbres. (photo Giacomo Sellan)

Ressources complémentaires

Contact rédacteur : gaelle.fornet@cnrs.fr

Contact référent scientifique : Giacomo.Sellan@ecofog.gf

Laboratoires impliqués en Guyane française : UMR EcoFoG, UAR LEEISA.